Le "messie" s'habille en Lycra et voit la vie en jaune. " Lance rides again" ("Lance court de nouveau"), annoncent en grande pompe les affiches du Tour de Californie, qui s'est élancé, samedi 14 février, de Sacramento. Certains ont traversé le pays en avion pour assister au retour sur ses terres de Lance Armstrong.
Devant le bus de son équipe Astana, la foule guette sa silhouette. Une ombre et les " Lance, on t'aime" fusent. La Saint-Valentin n'est peut-être pas pour rien dans cette déclaration d'amour qui flirte avec l'hystérie collective. " Il incarne ce qui est impossible à faire", raconte Tammy, 39 ans. Sa grande soeur, Cathy, surenchérit : " Nous, les Américains, nous adorons les gens qui ont souffert et qui reviennent de loin." Comme cette histoire à la sauce hollywoodienne d'un homme qui aurait terrassé le cancer avant de remporter sept fois le Tour de France. " C'est notre inspiration, il est comme Jésus, clame Bradley, 48 ans. Il est revenu des morts pour nous montrer le chemin. Il nous dit de ne rien abandonner dans la vie. Tout le monde le suit. Lui ? Pff, il ne suit personne."
On le compare à Michael Jackson, on lui prédit un destin à la Maison Blanche... Armstrong sort du bus, les cris déchirent le ciel fumeux de Sacramento. On veut filmer l'icône, l'immortaliser sur son numérique, le toucher, goûter sa sueur... Il va bientôt prendre le départ du prologue. Une dizaine de shérifs l'escortent, la foule ne le lâche pas, ignorant, à son passage, les autres coureurs qui lèvent les yeux... Sur la ligne, le speaker lâche une pluie de superlatifs sur le Texan en train de s'échauffer plus bas. A deux mètres du cycliste, une femme qui a dû subir une chimiothérapie attend que " Lance" lui fasse un signe. Elle pleure, a du mal à le prendre en photo, ses mains tremblotent. " Cet homme aide les malades du cancer à se sentir mieux", jure Lewis, 54 ans, qui vend des boissons bio.
Dans les rues de Sacramento, des jeunes distribuent des posters à l'effigie du "superhéros" : 80 000 ont été tirés pour les neuf jours de course. " Hope rides again" ("L'espoir court de nouveau"), peut-on y lire en allusion à la campagne de Barack Obama. Mais la signature est celle de Livestrong, la fondation du coureur contre le cancer. Nike sponsorise ostensiblement l'initiative. A San Francisco, la ville voisine, la même affiche, en format géant, surplombe Union Square, la place principale.
" L'espoir" est donc de retour sur selle, le marketing avec. Des boîtes contenant trois grosses craies jaunes sont également distribuées en masse pour que les fans laissent sur le parcours des messages de soutient aux malades. Le Texan l'a d'ailleurs répété : s'il a repris le vélo " sans être payé" après trois ans de retraite, c'est pour parler du cancer, qui tuerait plus de 1 500 Américains par jour. La rumeur dit pourtant qu'il aurait reçu un million de dollars pour participer au Tour de Californie. Les organisateurs démentent. " Nous ne lui avons pas donné un penny", assure Andrew Messick, président du groupe AEG, propriétaire de la course.
"C'EST LE MEILLEUR"
Même refrain du côté du son principal sponsor, Amgen. Cette entreprise pharmaceutique a été la première à commercialiser... l'érythropoïétine (EPO), en 1989. La molécule, symbole des années Armstrong, a été retrouvée dans les urines de l'Américain prélevées lors de son premier Tour victorieux en 1999. "Cette course est une opportunité pour dire au monde que nos produits sont faits pour les malades et non pas pour se doper", martèle Mary Klem, une porte-parole.
Après le prologue, dont il s'est classé 10e, Lance Armstrong a reçu le prix du coureur le plus courageux du jour, remis par le gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger. " C'est le meilleur sportif du monde", lance "Schwarzie" au public. Environ 100 000 personnes seraient venues assister au départ de la course à Sacramento, selon les organisateurs. Un chiffre exagéré, mais c'est au moins deux fois plus que l'édition précédente. " Ce sont des millions de dollars pour la Californie", se réjouit le gouverneur, rappelant la gravité de la crise financière. Mais avec " Lance", " l'espoir court de nouveau"...
Mustapha Kessous